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Dictionnaire françoislatin contenant les motz et les manieres de parler françois tournez en latin (1539)
Une
solide formation
La famille Estienne, famille d’imprimeurs, est originaire de Provence.
Vers 1505, elle s’installe à Paris, dans le quartier Saint-Jacques et
le second fils d’Henri, Robert, naît à Paris en 1503. Au fil des ans,
ce dernier se dote d’une sérieuse culture classique et apprend le métier
d’imprimeur avec son père, Henri, puis, après la mort de celui-ci, avec
son beau-père, Simon de Colines.
Lors de sa première participation aux éditions de la Bible, en 1522 et
1523, il est chargé de corriger les copies des Epîtres, de l’Apocalypse,
des Actes et des Psaumes. En 1526, alors que Simon de Colines
ouvre sa propre imprimerie dans la même rue, la rue Jean de Beauvais,
Robert Estienne se voit confier la direction de l’imprimerie dont
le signe distinctif reste l’olivier, marque de la dynastie Estienne, à
laquelle il ajoute la phrase de Saint-Paul « noli altum sapere, sed
time » (« ne goûte pas à la profondeur, mais respecte la »), véritable
symbole d’humilité intellectuelle devant la vérité.
R. Estienne
oriente alors ses efforts vers les œuvres pédagogiques et les éditions
critiques. Ainsi, en 1526, il fait paraître à l’usage des enfants un opuscule
sur la grammaire, et il s’agit du premier ouvrage paru sous son nom.
L’éclosion
de l’imprimeur érudit
En 1528, Robert Estienne épouse Perrette Bade, fille de
Josse Bade, doyen des libraires universitaires de Paris. C’est
une femme très cultivée, qui n’est pas sans influencer et son foyer et
l’imprimerie par son savoir. Le couple s’épanouit dans un climat intellectuel
fructueux et tous deux donneront naissance à neuf enfants : Henri II,
Robert II, Charles, François II, Jeanne, Catherine, Jean, Marie et Simon.
Au fil des ans, l’imprimeur va s’entourer de divers collaborateurs, des
intellectuels venus des quatre coins du monde, des gens comme Andréas
Gruntheus, Adam Nodius, Jean de Beauvais, et surtout
Budé, à la fois collaborateur et ami.
En outre, Robert Estienne reçoit régulièrement un visiteur de prestige,
François Ier, qui s’est pris d’affection pour l’imprimeur. De ce fait,
un privilège royal est accordé à Robert Ier pour chaque ouvrage dès 1537.
Par la suite, en 1539, il est nommé imprimeur du roi pour les langues
hébraïque et latine, puis pour la langue grecque, après la mort de Conrad
Néobar en 1544. Dès lors, il se tourne davantage vers les auteurs
grecs. Aussi collabore-t-il avec le graveur Claude Garamond à la
réalisation des caractères grecs dits royaux (regiis typis) (élaborés
d’après l’écriture d’Angelo Vergerio), qu’il inaugure avec la première
édition de grande qualité des œuvres d’Eusèbe.
Un imprimeur engagé qui irrite la Sorbonne
En 1527, 1528, puis 1532, paraît son premier grand ouvrage : une traduction
de la Bible en latin (projet lancé dès 1524). Cette œuvre est le fruit
d’une étude comparative de la Vulgate ancienne, des manuscrits de Saint-Denis,
de Saint-Germain, du collège de théologie de Paris, et même de la « Polyglotte
d’Alcala ». En l’occurrence, il ajoute des sommaires en tête des chapitres,
marque les versets, met en marge des concordances et des variantes se
rapprochant du texte hébreu, et rétablit les noms propres chaldéens, hébreux,
grecs et latins, défigurés dans les éditions précédentes.
Le privilège du roi François Ier, donné à Paris le 4 février 1527-1528
et reproduit en français à la fin de l’ouvrage, décrit cette Bible comme
imprimée « par l’avis et mure délibération et expérience de gens de grand
sçavoir ».
C’est selon
cette méthode comparative, et avec les encouragements de Budé,
qu’il va s’appliquer à l’édition de nombreuses œuvres de la littérature
latine. Par contre, cette liberté critique lui attire l’animosité des
théologiens de la Sorbonne, mais Robert Estienne, bien loin d’être
découragé dans ses recherches, continue ses études bibliques.
Il publie de nombreuses éditions de la Bible en hébreu, latin et français,
du Nouveau Testament en grec, latin et français, mais aussi bon nombre
de psautiers et concordances de la Bible. Il donne ainsi en 1555, les
Concordances de la Bible, où il range mot par mot, phrase par phrase,
toute la Bible dans un Index disposé dans l’ordre alphabétique
avec renvoi à chaque verset, conformément à l’édition latine qu’il publie
simultanément.
C’est un énorme travail que Robert Estienne effectue seul. Dès lors, la
Bible et les œuvres latines représentent les deux grandes orientations
de son activité. En 1526, il fait ainsi paraître une édition de Térence,
qui sera suivie de quatre autres jusqu’en 1536 (la quatrième bénéficiant
des annotations d’Erasme).
Il publie Plaute en 1529 et Cicéron en 1532, Familiares,
Oratoriae partitiones, ad Atticum, ad Brutum, mais
aussi Virgile, avec les commentaires de Servius. Robert
Estienne est alors en relation avec les humanistes de l’Europe entière
(Mathurin Cordier, Etienne Dolet), et il publie en 1530 son traité
sur La manière de tourner en langue française les verbes.
La naissance d’un grand lexicographe et de la
lexicographie française
Dans une perspective différente, il entreprend en 1528, avec l’aide de
plusieurs collaborateurs, un Thesaurus linguae latinae (édition
définitive en 1543) qui apparaît comme le premier «dictionnaire » bilingue,
principalement destiné aux savants. En cela, il s’aide des œuvres de Sénèque,
de Tacite, de Tite-Live et de Lucrèce.Dans sa préface,
il présente son travail comme répondant aux erreurs et à l’insuffisance
du lexique de Calepin qu’il considère malgré tout comme la meilleure
œuvre de l’époque.
Dans le Thesaurus, Robert Estienne étudie avec une grande
précision le vocabulaire, il apporte une amélioration dans les citations,
et il emploie le système alphabétique avec groupements par dérivation.
Par la suite, il entreprend la rédaction du Dictionarium Latinogallicum,
publié en 1538, destiné à ceux qui sont « en leur commencement et bachelage
de littérature ».
L’année suivante, il fait paraître le Dictionnaire françoislatin,
pendant du précédent et surtout premier dictionnaire à faire figurer le
français en premier dans la nomenclature. Cet ouvrage représente par ailleurs
l’inventaire le plus étendu du vocabulaire de la langue vulgaire. Il est
également novateur en ce que Robert Estienne apporte un soin extrême
à la qualité de la langue, une large place est accordée aux citations,
de véritables définitions y sont introduites allant bien au-delà de la
simple synonymie, et y est appliqué un classement alphabétique avec désinences.
Les principes mis en application pour ces deux œuvres vont se perpétuer
en étant développés et perfectionnés jusqu’en 1606 avec l’édition de Jean
Nicot.
Robert Estienne compose aussi un Dictionarium propriorum nominum
en 1541. Au regard de ces œuvres majeures, Robert Estienne apparaît
donc comme le précurseur d’une lexicographie française encore au stade
d’ébauche.
A cette époque, l’imprimerie connaît une grande prospérité. Robert
Estienne vend beaucoup d’ouvrages dans sa librairie. Les améliorations
techniques qu’il apporte à sa typographie lui permettent d’imprimer des
ouvrages à faible coût mais d’une grande qualité. En outre, il met en
œuvre une judicieuse stratégie commerciale : il instaure un contact direct
avec le lecteur, ce qui l’amène à réaliser des ventes de l’Angleterre
à Zurich en passant par Genève. Robert Estienne met en place et gère alors
une forte activité de libraire.
Robert Estienne à Genève auprès de Calvin
En revanche, les persécutions de la Sorbonne vont s’intensifier. La protection
du roi devenant insuffisante, l’imprimeur est poussé à fuir Paris à plusieurs
reprises. Robert Estienne penche alors peu à peu vers la Réforme.
Très tôt, il avait été sensible à l’influence de Lefèvre d’Etaples,
intime de son père qui, dès 1523, passait à la Réforme : c’est lui qui
l’avait attiré vers l’étude critique de la Bible.
En 1550, sous le règne d’Henri II, Robert se réfugie à Genève avec sa
famille pour « ne plus avoir à sacrifier ses forces » à des luttes stériles
avec les censeurs. Il est d’emblée bien accueilli par Calvin et
il embrasse alors le calvinisme, publiant des ouvrages de théologie protestante
tels que l’œuvre forte de Calvin traduite en français : L’institution
de la religion chrétienne, ainsi que son texte virulent sur Les
censures des théologiens de Paris, par lesquelles ils ont faussement
condamné les Bibles imprimées par Robert Estienne (1552).
Il continue son activité en diffusant la Bible avec des notes issues d’une
mise en parallèle des textes latins et français. Il poursuit également
ses travaux philologiques, perfectionnés jusqu’à sa mort : l’Alphabet
grec en 1554, une deuxième édition du Dictionarium puerorum
et du Petit dictionnaire des mots français tournés en latin, et
une Grammaire française en 1557.
Avant de quitter Paris en 1550, il perd sa femme, et il épouse en secondes
noces, Marguerite Deschamps, dite Duchemin. Quant à ses enfants, trois
d’entre eux exercent la profession d’imprimeurs (Henri II et François
II à Genève ; Robert II à Paris). Robert et Charles, quant à eux, sont
déshérités pour avoir refusé d’embrasser la religion réformée. Robert
Estienne meurt à Genève le 7 septembre 1559. Il est alors âgé de cinquante-six
ans.
Son fils Henri (1528-1598) poursuivra l’œuvre du père en publiant en 1572
un Thesaurus graecae linguae, monument d’érudition et œuvre typographique
admirable. Il se fera aussi défenseur de la langue nationale dans De
la précellence du langage français (1579).
Père de la
lexicographie française, typographe de mérite, philologue averti, Robert
Estienne a réalisé une œuvre décisive tant par la quantité d’ouvrages
réalisés que par la qualité des contenus.
Carine
Timmerman
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