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Jean-François FÉRAUD
(Marseille, 1725 – Marseille, 1807)



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Dictionaire Critique de la langue française (1694)



Jean-François Féraud est né à Marseille le 17 avril 1725, il est le fils de François Féraud, chirurgien et de Claire Beaumont. Nous avons peu d’éléments concernant sa petite enfance, il a eu plusieurs frères et sœurs dont certains morts en bas âge. Il semble que son père avait pour l’époque une certaine instruction, plus que ne l’exigeait sa profession (barbier-chirurgien), sa signature, apparemment celle d’un homme lettré est à plusieurs reprises précédée de « sieur ». Il est élève au collège jésuite de Belsunce et à 14 ans il commence son noviciat. Il est envoyé ensuite pour son scolasticat à Besançon où il reste 4 ans en tant que professeur de grammaire et de rhétorique. Hormis ce bref exil, il séjourne presque exclusivement en Provence. Après la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1764, il rejoint le clergé séculier et vit de sa plume. En 1791, ayant refusé le serment constitutionnel, il émigre à Nice puis à Ferrare. En 1798 il rentre à Marseille où il redevient sans doute vicaire et où il meurt le 8 février 1807.

On sait peu de chose de sa vie personnelle et de sa carrière ecclésiastique. Traducteur d’anglais, il fut adjoint au Père Pezenas, fondateur et directeur de l’Observatoire de Marseille. Il fut Académicien de Marseille mais on est presque certain qu’il n’a pas siégé à cette Académie. Jean-François Féraud était vraisemblablement un homme humble ayant peu fréquenté les « Grands », préférant les « Lettrés » aux « Puissants ». Les œuvres mineures Son activité littéraire touche à plusieurs domaines : petites œuvres de poésie et traduction de petites vers, ouvrages de polémique et de controverse anti-philosophique, grammaire de la langue provençale, œuvres d’édification religieuse et bien sûr lexicographie. Il participe à la traduction du Dictionnaire universel des sciences et des arts de Thomas Dyche (1753-54) qui confirme sa bonne connaissance de la langue anglaise . Dans le ‘Dictionaire critique’, il dénonce à plusieurs reprises les mauvaises traductions de termes ou de tournures grammaticales de ses confrères et consœurs en littérature. Prélude à son œuvre maîtresse, le ‘Dictionaire Critique’, il publie en 1761 le Dictionnaire grammatical portatif. Il voulait proposer un dictionnaire pratique, évitant de consulter selon les besoins, un manuel d’orthographe, un traité de grammaire ou des remarques sur les usages et donc rassembler dans un ouvrage de taille raisonnable toutes les données permettant un bon usage de la langue française. Il destine cet ouvrage :« aux Etrangers, aux Jeunes gens et aux Habitans des différentes Provinces de France pour leur faciliter la connoissancedes délicatesseset des bizarreries d’une Langue qui est aujourd’hui la Langue de toute l’Europe ».(Cité par Ph. Caron, préface de la réédition du ‘Dictionaire Critique’, 1994). On trouve déjà dans ce dictionnaire les prémisses de ce que sera le ‘Dictionaire Critique’ : des remarques sur la prononciation, l’orthographe, des indications de restriction ou d’extension d’emploi, des indications grammaticales. La réédition de 1768 ajoute des exemples pour une meilleure compréhension des informations données sur les mots, ce qui ne paraît pas inutile, mais il manque la partie la plus importante de ce qui fait pour nous un dictionnaire : la définition. Cet ouvrage est plutôt le complément orthographique, phonétique et stylistique d’un dictionnaire usuel, qu’un vrai dictionnaire. Dans le Discours sur la philosophie (vers 1762), il attaque de manière dogmatique la philosophie de son temps, dans laquelle il voit une quête dévoyée et orgueilleuse de la vérité hors du cadre du christianisme. Homme de foi, révolté par ce qu’il appelle les faux philosophes ou encore : les philosophistes faisant du philosophisme, ses ouvrages lexicographiques sont pourtant moins porteurs de prosélytisme religieux que du bon usage du français. L’œuvre maîtresse : le Dictionaire Critique de la Langue Française En 1787 paraît le Dictionaire Critique de la langue française : 3 volumes, 2500 pages, environ 24000 mots en entrées multiples. En ce qui concerne les principales options c’est une suite du ‘Dictionnaire grammatical’, mais cette fois-ci, c’est un vrai dictionnaire avec des définitions et une arborescence des sens très précise. Voici comment il le présente dans la préface du premier volume : « Celui-ci est un vrai DICTIONAIRE CRITIQUE, où la Langue est complètement analysée. C’est un Comentaire suivi de tous les mots, qui sont susceptibles de quelque observation ;un Recueuil, qui laisse peu à désirer ; des Remarques, qui peûventéclaircir les doutes et lever les dificultés, que font naître tous les jours les bizârres irrégularités de l’Usage. C’est la Critique des auteurs et l’examen, la comparaison, critique aussi, des divers Dictionaires. Nous ôsons croire qu’il réunit les avantages de tous, et qu’il y ajoute des utilités, qui ne se troûvent dans aucun. » L’Abbé Féraud se défend pied à pied contre les critiques qui lui sont adressées avant même la parution de l’ouvrage, non seulement sur les options et innovations dont son dictionnaire est porteur en matière de lexicographie mais aussi sur ses propres origines : « Je sais que, dans la Capitale, on a les plus terribles préventions contre les Provinces méridionales, pour tout ce qui regarde le langage. » Pourtant cet ouvrage encore peu reconnu à l’heure actuelle montre une réelle modernité dans plusieurs domaines et en particulier en ce qui concerne la présentation et la structure des articles. C’est la première fois qu’un dictionnaire monolingue français propose une telle organisation sémantique. Cela se traduit par l’emploi systématique de disjoncteurs, de numérotations visant à donner une lisibilité et des repères de lecture. Ainsi les articles se présentent-ils presque toujours de la même manière : la vedette en capitales, la catégorie grammaticale en minuscule, le composant phonético-graphique entre crochets, puis la définition. Chaque fois qu’il veut introduire un nouveau sens, Féraud se sert de tiret ou de doubles tirets pour marquer les différents champs. Si l’article est long, il n’hésite pas à numéroter les différents sens, il fait de même dans les remarques. Pour marquer une graphie, un emploi ou un sens fautif, il utilise l’astérisque. Il utilise beaucoup les majuscules, les italiques, les différents corps de lettres. Les exemples, très nombreux, sont annoncés par des guillemets. Il se sert d’abréviations. Féraud rompt avec la linéarité discursive de ses prédécesseurs et donne au texte une structure plus visuelle donc plus facilement consultable. La méthode bien sûr n’est pas encore systématique et nombre d’articles ont une présentation tout à fait particulière ; les disjoncteurs ne sont ni hiérarchisés, ni monosémiques mais l’aspect visuel des articles donne malgré tout une impression de régularité et l’on trouve très vite ses repères dans la consultation Autre innovation absolue, c’est la première fois que l’on trouve systématiquement dans un dictionnaire monolingue français, une rubrique concernant la prononciation. Le champ est parfaitement délimité entre deux crochets et la prononciation proposée est codée, avec les moyens du bord puisqu’il n’existe pas encore de théorie phonétique systématique. Il précise quand « en » a le son de « an », « oi » le son de « ai », il donne le timbre des voyelles en particulier du e : muet, fermé, moyen, ouvert ; la prosodie : voyelle ou syllabe longue, brève, douteuse. Plus qu’une réforme de l’orthographe, il propose une simplification qui va de la suppression du h d’orthographe, du p de printemps, d’un f à affirmatif ou d’un m à homme. Son but est surtout une mise en conformité de l’orthographe avec la prononciation et il insiste beaucoup sur la normalisation des accents et la transformation systématique du « oi » en « ai » pour tous les mots comme français, connaître etc. Mais il propose sans imposer : « Quand c’est nous, qui parlons, nous utilisons notre Ortographe. Quand nous citons les Auteurs, nous nous servons de la leur. Dans l’ordre alphabétique des mots, nous mettons l’une et l’autre Ortographe ; l’anciène et le nouvelle. » Comme pour le Dictionnaire grammatical, les remarques ont une très grande importance, c’est ce qu’il considère comme la partie la plus considérable et la plus intéressante de son travail. Elles portent sur : « les diférents Styles et leurs nuances, plus variées peut-être dans la Langue Française que dans aucune aûtre Langue. Car outre le style poétique ou oratoire, le style élevé ou familier, dont on n’a pas toujours distingué les diférentes espèces ; il y a le style du Bârreau ou du Palais, où l’on parle une langue toute particulière ; le style médiocre ou de dissertation ; le style simple ou de conversation, qu’on ne doit pas confondre avec le style familier, qui a un degré de plus d’aisance et de liberté ; le style polémique qui a ses licences, moindres pourtant que celles du style critique, qui, à son tour, en a moins que le style satirique ; le style badin, plaisant, ou comique, dont les nuances sont diférentes, et vont en enchérissant l’une sur l’autre ; le style marotique, qui se done encôre plus de libertés, moindres pourtant que le style burlesque. » Ajoutez à cela les remarques grammaticales, les barbarismes, les gasconismes et les synonymes, vous avez tout ce qu’il faut pour parler et écrire un français toujours adapté à la situation et au bon usage. Les sources utilisées par Féraud sont aussi diverses que nombreuses et on peut les classer en deux catégories, les textes théoriques et un réservoir d’attestations (œuvres littéraires, journaux, textes scientifiques etc..). Les textes théoriques, ce sont les ouvrages qui font encore autorité à l’époque : les remarques de Vaugelas, de Ménage, de Thomas Corneille ; les dictionnaires d’orthographe, les grammaires des abbés Buffier, Girard ; des ouvrages sur les synonymes en particulier Girard, Beauzée, Roubaud; des dictionnaires, en particulier l’Académie, Richelet, Trévoux et les remarques et observations de leurs auteurs comme celles de l’Académie. On peut remarquer qu’il n’y a aucune référence à Nicot ou Estienne. Pour les attestations, on trouve beaucoup d’ouvrages d’ecclésiastiques, (sermons, prédications), mais aussi beaucoup d’auteurs : Corneille, Racine, Marivaux, Mme de Sévigné, Regnard, Molière, Voiture ; là encore pratiquement rien du XVIème siècle. Féraud cite de nombreux textes philosophiques et de sciences (Pascal, Voltaire, Buffon), des journaux, des traités d’histoire, des traductions. Le choix est large et sert abondamment à illustrer les différents sens proposés, les différents usages dans les différents styles : poésie, comédie, style oratoire, langue de métier ou de spécialiste. Cela ne l’empêche pas de fabriquer lui-même des exemples quand il en a besoin. On peut presque dire que c’est un dictionnaire de corpus avant la lettre. Mais ce sur quoi Féraud innove de façon quasi absolue, c’est dans le parti pris résolument critique : aucun dictionnaire de langue ne s’était jusqu’alors systématiquement érigé en instance de jugement linguistique de second niveau. Quand on voit que Féraud se place en « juge » de l’Académie elle-même, on mesure la hardiesse du projet et du propos. Le peu d’informations que nous possédons sur la vie et la carrière de l’Abbé Féraud oblige à cerner l’homme et le lexicographe au travers de son œuvre. Dans les citations ci-dessus (en italiques), tirées de sa préface du tome 1 du Dictionaire Critique, on peut se faire une petite idée de ce Méridional attaché à sa province d’origine, amoureux de la Langue française, opiniâtre dans ses raison de la défendre et de la faire évoluer, mais ouvert à une certaine modernité, homme de foi et de conviction mais capable d’observer le monde et la société de son temps. Faute de mieux connaître l’homme, ses ouvrages, en particulier le Dictionaire Critique, mériteraient d’être mieux connus et la mise en ligne de celui-ci dans la base des Dictionnaires d’Autrefois et sur le site de l'ATILF, contribuera sans doute à améliorer cette connaissance.



Le Dictionaire Critique de la langue française est consultable gratuitement sur le site du laboratoire ATILF.

Philippe Caron & Pierrette Marchaudon