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Louis HACHETTE
(1800, Rethel - 1864, Le Plessis-Piquet)



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(Louis Hachette en 1833)

Louis (Christophe François) Hachette naît dans les Ardennes le 5 mai 1800 (alors le 15 floréal an VIII). Sa famille est paysanne et pauvre ; ils sont catholiques. Son père, Jean, projetait d’acheter une charge d’huissier, en vue de s’établir comme tel à Rethel ; mais cela nécessitait une inscription à l’école de droit de Paris. En novembre 1807, il y entraîne sa famille au grand complet : son épouse ; ses enfants : Louis, son fils aîné, sept ans ; Louise, cinq ans, et Édouard, un an.

Une fois obtenu son diplôme, M. Hachette rentre à Rethel, mais sans sa famille : son épouse refuse en effet de retourner en province, considérant que la vie et l’avenir de ses enfants est désormais à Paris. Devenue chef de famille, elle peine à assurer le quotidien avant de trouver, en 1809, un emploi de lingère au lycée Louis le Grand, alors Lycée impérial. Louis fréquente l’école paroissiale de Saint-Séverin, de 1807 à 1809 (classes élémentaires), puis le lycée impérial, où il côtoie Eugène Burnouf (qui deviendra linguiste et spécialiste de la culture indienne), Louis-Marie Quicherat, futur latiniste renommé, qui sera professeur de linguistique et lexicographe ; Louis éditera ses dictionnaires latin-français et français-latin. Il côtoie aussi Émile Littré.

Le jeune homme souhaite devenir enseignant, et, pur produit de l’élitisme républicain de l’époque, est admis brillamment -il est reçu troisième- en 1819 à l’École normale. Il y fait de brillantes études : il est particulièrement doué en latin et grec, ainsi qu’en anglais ; mais son cursus est stoppé net à la fermeture de l’établissement en 1822, sous l’impulsion négative de Corbière, ministre de l’Intérieur, qui pensait de cette institution qu’elle était une «sentine d’irréligion qui infectait et perdait la jeunesse» ; et relayé par Frayssinous, ecclésiastique anti-école publique, qui vient d’être nommé grand-maître de l’Université, et dont la suppression de l’École normale, en septembre de cette année-là, fut le premier acte administratif. Le jeune normalien a alors son baccalauréat –qui vient tout juste de naître et se passe alors dans les facultés– puis sa licence (le 14 mai 1822), mais il ne peut à cause de la fermeture de l’établissement, préparer l’agrégation.

Louis vit alors de leçons particulières comme répétiteur en institutions privées, en recommençant un cursus d’étude, en droit cette fois, à partir de novembre 1823 ; il a pour idée de devenir avocat, mais arrêtera avant la licence. En 1824 il est précepteur des enfants du notaire de Mme de Staël, François Fourcault de Pavant.

En 1826 il décide de changer l’orientation de sa vie en rachetant une minuscule librairie du quartier latin, 1 rue du Battoir-Saint-André (la partie de la rue qui depuis est devenue rue Serpente) à Jacques Brédif, dont le fonds de livres est chétif. C’est une entreprise a priori hasardeuse : le milieu est difficile et fermé, mais Louis est plein d’enthousiasme pour tenter une aventure qui lui tient à cœur. Et, surtout, il peut mener à bien son projet grâce à l’aide financière d’une famille de notaires proche de son employeur et présentée par lui : les Bréton : le père : Henri, lui accorde un prêt. Plus tard, le fils Louis deviendra son gendre et son premier associé.

(Première page du livre-journal de la librairie, écrite de la main de l’épouse de L. Hachette, qui tenait elle-même les comptes)

L’idée de l’enseignement lui étant toujours restée chère (sa devise est : « Sic quoque docebo », Ainsi, moi aussi j’enseignerai) , il va se spécialiser dans l’édition scolaire, alliant le cœur et la raison, car il se révèle vite farouche homme d’affaires et d’argent. Il a des idées, de l’initiative et sait utiliser ses réseaux : ainsi, il reste en contact avec ses anciennes connaissances, qui ont pour la plupart des métiers liés à l’enseignement : directeurs d’école, professeurs (Augustin Thierry, Adolphe Mazure, François Ragon…). Sa première publication voit le jour un an après son installation : en 1827 sort le Dictionnaire Grec-Français, de Charles Alexandre. Au même moment, c’est le début de publication de sa revue d’information, Le Lycée, parution qui donne la parole aux universitaires, et insiste notamment sur la gratuité et la liberté de l’enseignement. Il la confiera en 1833 à un ami normalien (Jacques Saigey) ; lui fondera et s’occupera du Journal de l’instruction élémentaire, destiné à un plus large public.

Cette année-là est décidément importante pour l’éditeur : c’est encore en 1827 qu’il se marie (le 17 février) avec Amélie (Catherine Marie Agathe) Barbédienne. Louis aura quatre enfants de cette union, dont deux mourront en bas-âge : Marie-Joséphine (1828-1831) et Marie (1830-1831) ; les deux autres sont Louise (1829-1900 ; elle épousera Émile Templier, cousin germain de Louis Bréton futur associé de Louis, et qui deviendra à son tour son associé), et Alfred (1832-1872).

Cette même année encore, parait Le Nain politique, curieux roman historique de la Pologne du XVIe s.,de la comtesse de Choiseul-Gouffier. Parallèlement à son activité éditrice scolaire, Louis diffuse, compte tenu de sa notoriété, et probablement à des fins financières, pour le compte d’autres libraires. Ce roman par exemple lui apportera une commission de soixante pour cent du prix de vente.

En 1831, il lance une collection de manuels bon marché, la Bibliothèque des écoles primaires, dont le premier grand succès d’édition, dont il a rédigé une partie, est Alphabet et premier livre de lecture à l’usage des écoles. C’est le premier manuel scolaire destiné massivement aux écoliers (qui dépassera le million d’exemplaires après la promulgation de la loi Guizot). De la même façon, en 1846, un manuel de lecture verra le jour : Robinson dans son île, ou Abrégé des Aventures de Robinson (traduction par Ambroise Rendu).

En 1832, son catalogue compte déjà vingt-quatre pages et, outre les livres, propose aussi à la vente ardoises, craie, crayons, compas, bons points…

Une occasion importante d’expansion est donnée à Hachette par Louis-Philippe, dont le ministre de l’instruction publique, François Guizot (Louis aurait suivi ses cours quand il avait une chaire d’histoire moderne à la Sorbonne), promulguera, en 1833, la loi importante qui porte son nom1, puis par Napoléon III : tous deux lui passeront commande d’ouvrages à utiliser dans les écoles. Lors de la mise en place de cette loi aidant le développement de l’instruction primaire, Hachette présente un catalogue d’ouvrages destinés aux établissements concernés ; il obtient le marché de tous les livres jugés nécessaires à leur équipement.

Entre-temps, le libraire-éditeur aura eu maille à partir avec le sort : financièrement, parce que l’économie française traverse une phase de dépression et que l’édition n’échappe pas aux difficultés générales du pays, d’autant moins que très vite la concurrence d’autres éditeurs va jouer, mais surtout, parce qu’il se retrouve veuf en 1832, quand son épouse est emportée par l’épidémie de choléra qui dévaste Paris. Complètement anéanti par le chagrin, il traverse une période difficile où il songe au suicide, pour se replonger ensuite dans le travail et faire de la prospérité de son affaire une de ses préoccupations principales. En 1833 il se donne donc à nouveau à fond dans une entreprise qui ne fera que prendre de l’ampleur, tant au niveau quantitatif que qualitatif ; cette année-là cinquante-quatre titres sortiront , puis soixante-et-un en 1835, quatre-vingt six en 1840 et cent vint-neuf en 1843 ! Parallèlement, le nombre de personnes travaillant pour lui ne cesse d’augmenter : cinq en 1833, seize en 1840, cent soixante-cinq l’année de sa mort. C’est un patron dur à la tâche, exigeant, ne s’économisant pas et imposant de dures conditions de travail à ses employés.

Il se remarie en 1836 (le 29 janvier) avec Pauline (Catherine) Royer, avec qui il a eu un enfant : Georges (1832-1892).

En 1851, à l’occasion de l’Exposition universelle de Londres, l’éditeur découvre les bibliothèques de gare de ce pays, créées grâce à une idée de William Henry Smith. Cet exemple l’inspirant, il l’applique en France en créant les bibliothèques de gare2 et met en place en 1852 la Bibliothèque des chemins de fer, ensemble d’ouvrages maniables, bon marché, destinés à divertir et instruire les voyageurs. Sept collections y voient le jour, conçues pour tous les goûts et tous les publics, et au domaine prédéfini par sa couleur : rouge pour les guides de voyages ; bleu pour les traités d’agriculture et d’industrie ; jaune pour la littérature étrangère, etc… « Ma double devise est de leur [aux voyageurs] être utile et de les amuser honnêtement. » dit Hachette (voir aussi annexes).

Ses activités, à cette époque, sont élargies à la littérature générale (il publie Lamartine, Fromentin, Taine) . En 1854, il invente la fonction de directeur de collection : confiant pour la première fois cette tâche au politique et historien Victor Duruy.

La même année, l’éditeur achète le château du Plessis-Piquet (devenu Le Plessis-Robinson en 1904). Il sera maire, puis conseiller municipal de la commune. Régulièrement, il organisera des chasses à courre dans ses terres alentour et invitera chez lui le monde littéraire et professoral : Lamartine, Gautier, Hugo, la comtesse de Ségur et bien d’autres fréquenteront le lieu. Quelques temps avant cette acquisition immobilière, l’éditeur devenu très prospère aura fait construire un vaste immeuble professionnel boulevard Saint-Germain (qui sera utilisé jusqu‘en 1995).

(Louis Hachette en 1854, photographié par Adam Salomon)

Appliquant le principe des livres « de gare » pour adultes à la littérature enfantine, Hachette crée une collection bleue pour les garçons et une collection rose pour les filles : c’est la bibliothèque rose (en l’occurrence illustrée) qui existe encore aujourd’hui et fera perdurer, par exemple, la littérature de la Comtesse de Ségur.

En 1842 déjà, Hachette avait eu l’idée d’une publication destinée aux milieux enseignants : La Revue de l’instruction publique. Avec une créativité et une énergie jamais en reste, il lancera entre autres innovations, celle des guides et des récits de voyage, dont Le Tour du monde (1860), ainsi qu’un des premiers magazines distractifs : Le Journal pour tous (1855) ; sans oublier, à l’intention d’un public très jeune : La semaine des enfants (1857).

Ses illustres clients lui donnent les moyens financiers d’aller à la découverte d’auteurs étrangers (surtout anglais) et de les faire traduire. Ce qui enrichit le catalogue d’édition existant d’auteurs tels que Charles Dickens ou Robert Stevenson. Et pour illustrer ses livres pour enfants, Louis fait appel à des artistes de renom : il popularise par exemple ainsi les dessins de Gustave Doré.

Il faut noter, en 1863, la très importante publication du Dictionnaire de la langue française, de Littré, son ami de longue date.

L’homme à qui Larousse attribuait une remarquable intelligence et une haute probité, est frappé dans son immeuble de Saint-Germain d’une paralysie « due à un épanchement du cerveau ». Il meurt le 31 juillet 1864 au Plessis-Piquet. Il est inhumé au cimetière Montparnasse après des funérailles où sont rassemblées plus de deux mille personnes et laisse à ses successeurs, ses fils et ses gendres qui reprendront le flambeau, une immense fortune et un empire éditorial.



Nicole CHOLEWKA

Bibliographie :

  • Des éléments dans de nombreux sites internet, en particulier familytreemaker.genealogy.com
  • Jean-Yves Mollier, Louis Hachette. Le fondateur d’un empire, 1999. (Fayard)
  • Bruno Blasselle, Le triomphe de l’édition. Histoire du livre, vol II, 1998 (Gallimard)
  • Maurice Chavardès, Histoire de la Librairie, 1967. (Pierre Waleffe)
  • Albert Labarre, Histoire du livre, 1974. (coll. Que sais-je ; PUF)

Les archives photographiques sont issus des fonds Hachette et reproduits d’ouvrages cités dans la bibliographie.

Annexes

Annexe 1 : Le 1er avril 1852, la maison Hachette adressait la lettre suivante aux Compagnies de chemin de fer : « Le voyageur est condamné au désœuvrement dès qu’il entre dans les wagons. La monotonie de la route ne tarde pas à produire son effet : l’ennui arrive ou, ce qui est pire, l'impatience s’empare de ce malheureux que la machine entraîne comme un colis.

MM. Louis Hachette et Cie ont eu la pensée de faire tourner les loisirs forcés et l’ennui d’une longue route au profit de l’agrément et de l’instruction de tous. Ils ont songé à créer une bibliothèque des chemins de fer, qui ne comprendra que des ouvrages intéressants, d’un format commode, d’un prix modéré.

Seront sévèrement bannies toutes les publications de nature à exciter ou à entretenir les passions politiques, ainsi que tous écrits contraires à la morale. Ce dernier point est d’intérêt public, car on sait que dans un pays voisin du nôtre [la Grande-Bretagne], les mauvais livres sont vendus par milliers dans ces stations, achetés par des jeunes gens et même par des jeunes femmes qui voyageaient dans le seul but de dévorer des romans qu’elles eussent rougi de laisser pénétrer dans le foyer domestique. »

Annexe 2 : « Le puissant libraire de l’Université, M. Hachette, a réalisé le problème de la lecture à vapeur, par sa Bibliothèque des Chemins de fer déjà si riche et si variée. Elle se composera d’environ cinq cents ouvrages, dont cent cinquante ont paru et plus de deux cents sont sous presse. Occuper agréablement les loisirs forcés des voyageurs, leur fournir des renseignements exacts et complets sur tout ce qui peut les intéresser en route ; les AMUSER HONNETEMENT et leur ETRE UTILE, voilà le but et la devise de cette collection. Ses nombreux volumes sont rédigés exprès, ou tirés des meilleurs auteurs. Chacun d’eux forme un exemple à part, et peut s’acheter isolément. Ils sont tous imprimés dans un format portatif et commode, en caractères très lisibles, même pour les yeux les plus délicats. Le touriste les place facilement dans sa poche ou dans son sac de voyage. Enfin, pour lui éviter tout embarras, les feuilles sont coupées d’avance, raffinement de prévenance inouï. […] (Pitre-Chevalier3, Musée des familles, 1855).

Citons parmi les diverses œuvres proposées à la vente, les ouvrages d’auteurs français ou étrangers comme Lamartine, Balzac, Cervantes, Dickens ou Gogol ; Soulié (écrivain oublié aujourd’hui, mais fort prisé de son temps, auteur de drames romantiques et de romans-feuilletons.)



Notes

1 La loi Guizot fait faire un grand pas à l'école primaire, notamment en matière d'alphabétisation : les communes (certes, uniquement de plus de 500 habitants) sont tenues d'avoir une école primaire et les départements une école normale. Malheureusement, il ne s'agit encore que d'écoles de garçons.
En outre, sont fixés les contenus des enseignements de ces écoles. L'article premier de cette loi les liste ; en voici la teneur : " L'instruction primaire et élémentaire comprend nécessairement l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures. L'instruction primaire supérieure contient nécessairement, en outre, les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l'arpentage, des notions des sciences physiques et de l'histoire applicables aux usages de la vie, le chant, les éléments de l'histoire et de la géographie, et surtout de l'histoire et de la géographie de la France. […] "

2 Ce sont les ancêtres, dans les gares, de nos Relais H[achette] (points de vente dont le nom est devenu Relay non pas par anglicisation du terme, encore que ce retour aux origines ne serait pas illégitime, mais par volonté de compréhension et de prononciation dans le plus de pays possible ; d'ailleurs le mot relay existait en ancien français).

3 Sobriquet de Pierre-Michel-François Chevalier (1812-1863), écrivain et rédacteur en chef, à partir de 1850, du Musée des familles, recueil littéraire fondé en 1833 par Émile de Girardin sur le modèle des magazines anglais et fort illustré de gravures sur bois, et qui se voulait une encyclopédie récréative destinée aux gens du monde, aux jeunes et aux femmes, et qui apporte une éducation contemporaine.