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Dictionnaire Universel, Panthéon littéraire et Encyclopédie illustrée (1852)

Maurice
La Châtre (ou Lachatre, La Chastre), est né à Issoudun le 14 octobre
1814, d'un père baron d'Empire. Après avoir entamé une carrière militaire
au Prytanée de la Flèche, il décide d'adhérer au saint-simonisme et, dans
cette optique, il devient d'abord menuisier ; puis, désireux de mettre
davantage en pratique ses idées sociales et de permettre au plus grand
nombre d'accéder à l'instruction (qu'il souhaitait gratuite, obligatoire,
professionnelle et laïque), il s'installe en Gironde avec sa famille,
fondant d'abord sa propre école, bientôt fermée faute d'autorisation,
puis achetant à Arbanats un domaine dont il fait un phalanstère, dans
l'espoir que ce type de communauté serve de modèle et s'implante partout
en France.
Parallèlement à ses activités éducatives et sociales, La Châtre
écrit et publie un certain nombre d'ouvrages, de 1852 jusqu'à la fin de
sa vie.
Son œuvre la plus importante est une Histoire des papes, crimes, meurtres,
empoisonnements, parricides, adultères, incestes des pontifes romains
depuis Saint-Pierre jusqu'à nos jours: mystères d'iniquité de la Cour
de Rome, …crimes des rois, des reines et des empereurs, publiée entre
1842 et 1857, dans laquelle il déroule le long cortège de crimes, attentats,
adultères, violences de toutes sortes dont se rendirent coupables les
pontifes romains et les souverains d'Europe. Dans le même temps il publie
les Mystères du Peuple d'Eugène Sue et entreprend la rédaction
de son Dictionnaire universel, Panthéon littéraire et Encyclopédie
illustrée à la manière de l'Encyclopédie de Diderot,
autrement dit en exposant, sous couvert du Dictionnaire, ses théories
sociales et politiques.
Ces différents ouvrages déplaisent fort au pouvoir impérial, et La
Châtre se voit traîné en justice en compagnie des responsables de
l'édition du Dictionnaire universel ; il écope d'une amende, et
surtout d'une peine de prison pour "outrage à la morale publique et religieuse":
il préfère alors s'exiler à Barcelone de 1858 à 1864.
Puis c'est le retour à Paris où il reprend ses publications : Dictionnaire
des écoles (1858), Dictionnaire français illustré (1858), Nouvelle
encyclopédie nationale (1870) ; il publie à nouveau, entre 1865 et
1870, l'ouvrage pour lequel il a été condamné, sous le titre du Nouveau
Dictionnaire universel, et selon une formule de livraison à bon marché
:
"Notre dictionnaire, tel que nous l'avons conçu, deviendra le livre
indispensable des familles ; du moins tel est notre espoir ; aussi, dans
cette prévision, avons-nous cherché à le rendre accessible à tous par
la modicité de son prix, par la division en livraisons des deux volumes
dont il doit se composer, et par la variété des combinaisons au moyen
desquelles le plus pauvre employé comme la plus modeste ouvrière pourront
en devenir possesseurs […] Le prix de la livraison de huit pages de texte
[…] a été fixé à dix centimes, et […] les abonnés, moyennant une dépense
de moins de cinq centimes par jour, auront pu recevoir l'ouvrage complet,
après une période de deux années" . Lettre de l'auteur aux abonnés
du Nouveau Dictionnaire Universel.
Cette formule, financièrement accessible à tous, lui sert aussi à éditer,
en livraisons bi-hebdomadaires, "Le Capital", de Karl Marx,
qu'il est le premier à publier en France entre 1872 et 1875. Parallèlement
il fournit une collaboration aux journaux très engagés Le Combat
puis Le Vengeur, fondés par le blanquiste Félix Pyat (auteur
dramatique et ancien député), journaux dans lesquels, pendant la Commune
de Paris, La Châtre défend les idées fédéralistes ; il prend en
outre une part active à la Commune, se battant avec les insurgés, ce qui
lui vaut une nouvelle condamnation, suivie d'un nouvel exil en Espagne,
puis en Belgique, en Suisse et en Italie ; il continue néanmoins à publier
durant cette période : Manuel des Confesseurs, Histoire du Consulat
et de l'Empire… (1874) . L'amnistie lui permet de rentrer en France en
1879 ; il se consacre ensuite essentiellement à compléter son Dictionnaire
et à poursuivre ses travaux d'édition. Maurice La Châtre meurt à Paris
en 1900.
Le
Dictionnaire Universel, témoignage des convictions d'un homme
En opposition aux valeurs traditionnellement transmises par le milieu
social et familial dont il est issu, La Châtre se définit comme
anti-royaliste et républicain, n'hésitant pas à exposer ses convictions
communistes.
Son engagement politique est influencé par Cabet, Blanqui,
Fourier, Proudhon, et surtout Saint-Simon, dont il
partage avec conviction la doctrine à la fois technocratique et collectiviste,
qui vise à favoriser l'émergence d'une nouvelle société égalitaire basée
sur le "système industriel", après la disparition des classes dominantes
- rentiers et capitalistes - au profit des "producteurs".
La Châtre affiche en outre, en matière de croyances, un anticléricalisme
radical, qui se manifeste de manière éclatante tout au long de son Histoire
des Papes, ou encore à travers son désir d'affranchir l'école de l'emprise
religieuse; il n'est cependant pas athée comme le prétendent ses détracteurs,
mais il se réfère à un mélange très personnel de philosophie et de spiritisme,
capable selon lui de développer les facultés humaines et non de les entraver.
L'intérêt des écrits de La Châtre réside dans un regroupement peu
banal pour son époque de courants opposants ou marginaux : leur étude
présente une vision de certains aspects méconnus de l'histoire du milieu
du XIXème siècle : les milieux libre-penseurs, la rencontre des utopismes
et des socialismes, les tentatives mutualistes, la critique des "exploiteurs"…
Dans ses ouvrages, et notamment dans son Dictionnaire Universel,
véritable vecteur de ses croyances, s'affirment la condamnation de la
colonisation, malgré la persistance de certains préjugés, la volonté de
voir s'instaurer l'égalité entre les hommes et les femmes, y compris en
ce qui concerne les droits civiques et politiques; c'est un éminent précurseur
de l'émancipation sociale des femmes.
L'étude des entrées du Dictionnaire offre un témoignage inédit sur les
mentalités de cette période; le vocabulaire propre à Fourier fait l'objet
d'une description détaillée. Les noms propres recèlent également des informations
singulières, car l'auteur ne s'est pas proposé d'offrir un dictionnaire
des hommes célèbres, mais des hommes utiles.
L'objectif essentiel du Dictionnaire est de présenter aux lecteurs
un résumé des connaissances humaines, selon des visées de pédagogie exhaustive
dont le XIXème siècle n'est pas avare:
"Le Nouveau Dictionnaire Universel sera le plus complet et le plus
progressif de tous les Dictionnaires, le seul qui embrassera dans ses
développements tous les dictionnaires spéciaux" Lettre de l'auteur
aux abonnés du Nouveau Dictionnaire Universel.
Cette Lettre de l'auteur éclaire d'ailleurs parfaitement le plan d'ensemble
de l'ouvrage: "Un Dictionnaire étant le résumé de tous les travaux
des écrivains des différentes époques, nous aurons soin de rechercher
les vieux mots de la langue française dans les anciens auteurs, tels que
Rabelais, Froissart, Boucicaut, etc., afin d'en faciliter la lecture aux
personnes qui veulent étudier notre histoire et notre littérature des
temps passés dans les originaux, ce que nul auteur de Dictionnaire n'a
fait avant nous […] Nous comptons faire en même temps un Dictionnaire
d'idées aussi bien qu'un Dictionnaire de mots, et, dans les nombreuses
citations d'auteurs vivants ou d'auteurs morts, nous ferons accueil à
toutes les opinions, sans acception de sectes ni d'écoles [ …] Un Dictionnaire
est comme une hôtellerie: tous doivent y trouver asile".
Par ailleurs, pour renforcer l'aspect pédagogique de l'ouvrage, l'auteur
accorde une place de choix à l'illustration, ce qu'il est l'un des tout
premiers à mettre en oeuvre, tandis que l'éditeur utilise des techniques
de vente très modernes: distribution à domicile, recours massif aux abonnements,
facilités de paiement, publication simultanée dans plusieurs pays...
Personnalité
singulière et attachante injustement tombée dans l'oubli, Maurice La
Châtre n'a cessé de mener de front, et dans des conditions souvent
difficiles, engagements personnels et publication de dictionnaires, lesquels
étaient voués par leur auteur à l'émancipation du peuple dans sa forme
la plus achevée. La Châtre fut également, et ce n'est pas son moindre
mérite, l'éditeur d'Eugène Sue et de Karl Marx.
Anne-Marie HETZEL
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