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Nicolas PERROT D'ABLANCOURT (Châlons-sur-Marne, 5 avril 1606 – Paris1, 17 novembre 1664)



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Bas-relief représentant Nicolas Perrot d'Ablancourt2 (Châlons-en-Champagne)

Eléments biographiques.

Nicolas Perrot d’Ablancourt naît en 1606 à Châlons-sur-Marne3, en Champagne, de Paul Perrot, écuyer, et Anne Desforges. Ses aïeux appartenaient à la noblesse de robe. Ablancourt est le lieu où se tient la propriété de la famille4. Il est le second enfant du couple qui a déjà une fille, Marie5.

Ses parents le placent très jeune au collège6 de Sedan. Cela s’explique probablement par le fait que la famille de Nicolas est protestante, attachée très tôt à la Réforme ; or, Sedan est une des académies7 où les Eglises réformées ont fait ouvrir des collèges, assurant à la fois une éducation spécifique et la formations de pasteurs.8

On fait revenir Nicolas à Châlons en 1619 ; il étudie alors la philosophie. Il « monte » ensuite à Paris, au cours des années 1620, faire des études de droit. C’est au cours de ces années d’étude qu’il rencontrera Patru9, qui deviendra un ami, et Boileau. Perrot est curieux, aime apprendre. Il aime les mots, se cultive sans cesse. Outre le droit, il étudie aussi la littérature, les langues : le latin, le grec, l’espagnol, l’italien.

A cette période succède un brusque repli, physique et spirituel : il quitte Paris, le métier d’avocat, ses amis, et se retire à Ablancourt, de 1628 à 1631 (de 22 à 25 ans), pour y étudier la théologie.

Perrot a régulièrement été « travaillé » par la croyance et les questions religieuses (il a pensé, vers 20 ans, embrasser la carrière ecclésiastique) et eu régulièrement des moments de doute vis-à-vis du protestantisme. Peut-être les gens qui l’entouraient et dont il faisait cas avaient-ils un certain poids dans ces doutes.

C’est à cause de sa croyance qu’il ne put être historiographe de Louis XIV, alors que Colbert l’avait pressenti pour cette fonction. Le roi refusa en effet un historiographe qui ne fût pas catholique.10

Durant les années 1631 à 1633, Nicolas part en Hollande, à Leyde11, où il apprend l’hébreu grâce à Saumaise12, puis en Angleterre, quelques mois, avant de rentrer en France, à Paris.

De retour dans la capitale, il se remet à fréquenter beaucoup de gens, tout un monde de littérature, de science et de spectacle, dans lequel il est d’autant plus apprécié qu’ « avec une réelle gaieté et une brillante conversation, il avait l’art de mêler sa sérieuse instruction et son immense savoir à des propos utiles et enjoués. »13

En 1637 (le 23 septembre), il est admis à la toute jeune14 Académie française comme successeur de Paul Hay du Chastelet15. La rédaction du dictionnaire élaboré par la célèbre institution l’intéresse énormément. Mais son investissement dure peu de temps car il tombe gravement malade.

En 1640, il est de retour en terre champenoise. Il restera retiré chez lui jusqu’à sa mort. C’est sans doute peu de temps après ce retour de Paris qu’est placé chez lui le jeune Pierre Richelet, probablement comme secrétaire. C’est le début d’une longue amitié entre les deux hommes, d’âge très différent mais à l’amour des mots semblable.

Perrot d’Ablancourt usera plusieurs fois de son influence pour aider Richelet16, qui par ailleurs apprendra énormément, à son contact, sur le plan de la langue, des lettres.

Ce retour amorce l’œuvre de sa vie, ce long travail de traductions perennées sous le nom de belles infidèles, parce que le traducteur est plus attaché à l’élégance et à la beauté du rendu du texte traduit qu’à la fidélité et au sens littéral du texte originel.

Entre-temps, en 1661 il est le précepteur du jeune Louis Dufour17.

Vieillissant, malade, Nicolas Perrot d’Ablancourt reste constamment chez lui. Richelet lui sert, à cette époque, de messager pour ses missives vers Paris18.

Mort sans avoir achevé son œuvre19, il a demandé à Richelet et à son neveu, Frémont d’Ablancourt, de mener à bien son travail.20

Son œuvre : « traduire » : les belles infidèles

Perrot s’est distingué dans le domaine de la traduction, essentiellement d’auteurs latins et grecs. Il s’est consacré à ce travail de 1637 jusqu’à sa mort.21

Hormis les œuvres traduites, Nicolas Perrot d’Ablancourt est également auteur de textes personnels, et au dire de Chapelain : « Il est de tous nos écrivains en prose celui qui a le style le plus dégagé, plus ferme, plus résolu, plus naturel. Son génie est sublime ; et quoiqu’il soit sans comparaison le meilleur de nos traducteurs, c’est dommage qu’il se soit réduit à un emploi si fort au-dessous de lui. » Mais, humble, Perrot affirmait préférer traduire de belles œuvres que d’en créer de mauvaises.

Il a traduit des textes d’Arrien22 (en 1646), Jules César (en 1650), Cicéron, Frontin23, Les Statagesmes ; de Lucien de Samosate24 (en 1654), Minucius Felix25, Octavius (en 1637), Plutarque, Polyen26 ; La Germanie et La Vie d’Agricola, 1646 ; Histoires, 1651) ; de Thucydide (1662), de Xénophon (1648).

Question fondamentale, encore aujourd’hui, que celle de la façon de travailler une traduction ; paradoxe commun que celui de la personne qui traduit, désireuse de restituer le sens littéral du texte, d’être fidèle à la pensée de l’auteur, mais non moins désireuse de donner à ce texte de la clarté, de la légèreté : un style, une élégance qui n’existent pas forcément a priori. Deux attitudes : traduire littéralement, presque mot à mot, au risque d’être lourd, mais ne voulant pas trahir, ou avoir à l’idée de garder l’esprit du sens de l’œuvre, tout en se détachant de son mot à mot, voire en l’adaptant à l’époque. Fragile, difficile équilibre.

Perrot d’Ablancourt aborde le problème de la seconde façon :

« […] dans les meilleurs autheurs, il y a des endroits qu’il faut retoucher ou éclaircir […] j’agence les choses à nostre air et à nostre façon […] » Il ajoute : «[…] cela n’est pas proprement de la traduction ; mais cela vaut mieux que la traduction […]»

Par exemple, concernant Lucien, il lui a « fallu changer tout cela, pour faire quelque chose d’agréable : autrement ce ne serait pas Lucien : et ce qui plaît en sa langue, ne serait pas supportable en la nôtre. » Il écrit encore : « Il y a beaucoup d’endroits que j’ai traduits mot à mot, pour au moins autant qu’on le peut faire dans une traduction élégante ; il y en a aussi où j’ai considéré plutôt ce qu’il fallait dire […]».

Des exemples donneront une idée plus précise de sa façon de travailler ; en voici quelques-uns :

Exemple de Lucien de Samosate, Histoire véritable27 . C’est cette œuvre qui a fait taxer ses traductions de belles infidèles28. Mais avant même cette date et cette œuvre, sa façon d’opérer était déjà là.

Sa traduction est la suivante :

« Je vis deux merveilles dans le palais du roi ; un puits qui n’était pas fort profond, où en descendant on entendait tout ce qui se disait dans le monde ; et un miroir au-dessus, où en regardant on voyait tout ce qui s’y passait. J’y ai vu souvent mes amis et ceux de ma connaissance, mais je ne sais s’ils me voyaient. Si quelqu’un ne veut pas me croire, quand il y aura été, il me croira. »

La traduction du même extrait, de la part de Pierre Grimal (éd. de 1958) donne ceci :

« J’ai encore vu une autre merveille dans le palais royal : un très grand miroir est disposé au-dessus d’un puits, qui n’est pas fort profond. Si quelqu’un descend dans ce puits, il entend tout ce qui est dit chez nous, sur la terre, et si l’on regarde dans le miroir, on voit toutes les cités, toutes les nations, exactement comme si l’on était au milieu d’elles. A cette occasion, je vis moi-même ma famille, ainsi que ma patrie toute entière, mais me virent-ils eux-mêmes, cela je ne puis encore l’assurer pour certain. Quiconque ne croit pas qu’il en est vraiment ainsi, s’il lui arrive un jour de monter lui-même jusque-là, s’apercevra que je dis la vérité. »29

Exemple de Tacite, Histoires30. Concernant cette œuvre, seront mises en parallèle traductions et notes « explicatives » de l’auteur.

Ainsi, il retitre L’Histoire et le justifie ainsi : « J’ai mis l’Histoire, et non pas les Histoires, parce qu’on ne parle point de la sorte en notre langue que pour désigner un ramas d’Histoires particulières […] mais on dit l’Histoire de Tite-Live, et l’Histoire de Monsieur de Thou, quoi qu’elles soient au pluriel en Latin. »

Et dans le corps du texte, voici quelques passages et notes :

« Où l’on peut dire sans crainte ce que l’on pense » : Je n’ajoute pas comme l’Auteur : où l’on peut penser ce que l’on veut, parce que cela est toujours permis.

« Qui n’est pas une petite félicité. » : Au lieu de petite, il y a au Latin ordinaire, mais il n’est pas aussi élégant ; ce que j’allègue pour servir d’exemple à plusieurs endroits où je biaise ainsi pour trouver les grâces de ma langue, ou la justesse du raisonnement.

« Les mœurs corrompues » : Il y a au Latin magna adulteria ; mais cela n’eût point eu de grâce de mot à mot.

De par sa façon de concevoir le travail « libre » de traduction, Perrot s’inscrit dans un mouvement dont le plus connu de ses représentants est Valentin Conrart31, homme de lettres, « logisticien » des débuts de l’Académie française, et qui aura, outre Perrot, auprès de traducteurs comme Patru, Giry32, et plus tard, Vaugelas, une grande influence.

Nicole Cholewka.
  

Bibliographie succincte :

Sources consultées :

Laurent BRAY, César-Pierre Richelet, 1626-1698 : biographie et oeuvre lexicographique, with an English Summary, Tübingen, 1986, diff. Presses Universitaires de Lille. coll. Lexicographia, 15.

Internet, ici et là, mais particulièrement l’article de François Veillerette : merci.

A titre de référence importante :

Roger ZUBER, Les belles infidèles et la formation du goût classique. Perrot d’Ablancourt et Guez de Balzac., Paris, A. Colin, 1968.

A titre d’info pour avoir une vue plus générale :

Marie-France Wagner (Université Concordia), 1992, dans erudit.org/revue.

  

Notes :

1Les diverses sources consultées donnent deux indications contradictoires : le fait que NPA est mort à Paris d'une part, et, d'autre part, le fait qu'il s'est retiré en Champagne jusqu'à sa mort.

2Son ami Patru le décrit comme un homme de grande taille, le visage plein, le front haut, les yeux gris, enfoncés, les lèvres épaisses.

3Actuellement Châlons-en-Champagne.

4Village à 8 km environ de Vitry-le-François.

5On trouve en effet, dans les documents de l'époque, trace du mariage de cette fille en 1618 ; Nicolas a alors 12 ans.

6A l'époque, le collège est un établissement (privé) qui assure un enseignement et primaire et secondaire. Ce collège protestant où Nicolas va étudier est fondé en 1579.

7Hormis Genève en Suisse, les autres académies concernées sont Orthez (Pyrénées atlantiques), Orange et Nîmes.

8Pour en savoir plus sur le protestantisme, et en particulier les orientations scolaires du collège à cette époque, voir le Musée virtuel du protestantisme français.

9Olivier Patru (1604-1681) : avocat du Parlement et orateur de talent.

10Ce qui ne l'empêchera pas, ainsi que cela existait à cette époque pour certains hommes de lettres et savants, de recevoir une gratification financière du roi sous forme de pension. Il la touchera jusqu'à la fin de sa vie.

11A l'université de Leyde enseignent alors les maîtres les plus réputés de l'art oratoire.

12Claude Saumaise (1588-1653), originaire de Bourgogne, érudit, humaniste, philologue.

13Art. cité dans la bbg.

14L'Académie française a été fondée en 1635.

15Avocat du Parlement ; intendant d'armée ; auteur de divers ouvrages en vers ou en prose, dont Pratique militaire ou traité de la guerre, et Histoire de Bertrand Du Guesclin.

16Par exemple en intervenant en sa faveur pour l'obtention d'un poste dans un collège de Vitry-le-François (source : Billet de Fasnières). Et, bien plus tard, à la fin de sa vie, en le recommandant à l'abbé d'Aubignac pour le faire entrer dans le cercle littéraire de ce dernier.

17(1652-1733) Futur historien de renom, sous le pseudonyme de Longuerue.

18 En particulier vers Chapelain, personnage influent.

19L'affirmation de Ménage, suivi par d'autres, selon laquelle Perrot se serait suicidé a été fermement niée par Patru.

20Il s'agit de la traduction de l'espagnol l'Afrique, de Luis del Marmol y Carvajal.

21Octavius et une partie des Annales seront traduits à Paris ; les autres textes seront travaillés chez lui, en Champagne.

22Flavius Arrianus, (c.95-c.175), historien romain de langue grecque.

23Sextus Juliunus Frontinus (Ier s.), écrivain militaire et administrateur principal des eaux de Rome.

24Samosate était en Syrie. Lucianus (né entre 120 et 125 mort entre 180 et 192), qui écrivait en grec, était un satiriste auteur de très nombreuses œuvres.

25Marcus Minucius Felix (IIe ou IIIe s.), écrivain latin chrétien.

26Orateur et écrivain militaire grec du IIe s.

27Nous n'avons pas à notre disposition le texte latin : Verae historiae, auquel le lecteur devra se reporter s'il souhaite confronter ces traductions au texte d'origine.

28Source Les Traducteurs dans l'Histoire, J. Delisle, J. Woodsworth.

29Source http://histv2.free.fr/litterature/lucien.htm

30Source http://www.gelahn.asso.fr/docs105.html

311603-1675.

321596-1665.