Les dictionnaires de la langue française : une histoire et une dynamique |
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Le XVIIe siècle : le grand siècle et la naissance d'une trinité lexicographique Le grand siècle est celui des monarques absolus, et avec eux de la codification et de la régulation. Henri IV, Louis XIII et Louis XIV vont chacun à leur manière servir la langue française et l'instituer comme une grande langue internationale. Le bon roi Henri IV, sans le vouloir, incitera les "précieux" à se réunir dans des salons éloignés de la cour, trop rustre à leur goût, mais ce faisant, même si l'on a surtout retenu le ridicule des périphrases (les "belles mouvantes", les "chers souffrants"... pour les pieds et les mains), ces derniers ainsi que Malherbe vont affiner la langue, l'épurer, peut-être trop prétendront d'aucuns. Sous Louis XIII, Richelieu fondera en 1635 l'Académie française, et Louis XIV rassemblera autour de lui, à Versailles, les écrivains qui poliront la langue et lui donneront cette tonalité classique et ce prestige littéraire international. Après le foisonnement lexical de la Renaissance, le Grand siècle représente une période de remise en ordre : Malherbe, au nom de la pureté, Vaugelas, au nom de l'usage, se chargent de normaliser la langue, avec l'aval du public. Constatons au passage que lorsqu'un pays bénéficie d'une langue et d'un gouvernement forts, apparaissent généralement des répertoires monolingues qui donnent aux mots du code linguistique national leur sens précis, ce qui renforce la validité des textes officiels. Au public de Corneille, Racine, Molière, aux contemporains instruits, bourgeois et nobles, correspondent à la fin du siècle trois dictionnaires de facture différente qui marquent la réelle naissance de la lexicographie de haute qualité : le dictionnaire de Richelet en 1680, celui de Furetière en 1690, et celui de l'Académie en 1694. Tout d'abord, Pierre Richelet (1631-1694) publie en 1680 le premier dictionnaire monolingue de langue française, le Dictionnaire français contenant les mots et les choses (2 vol., in- 4°), dictionnaire destiné à "l'honnête homme". Il y définit les mots en homme de goût et de raison, volontiers puriste. Il s'agit d'un dictionnaire descriptif du bel usage, avec des exemples choisis dans l'œuvre de Boileau, Molière, Pascal, Vaugelas, sans oublier les collaborateurs de Richelet, Patin et Bouhours qui n'hésitent pas à se citer, un bon moyen de passer à la postérité... Ce dictionnaire préfigure l'ouvrage de Littré et de Paul Robert : le grand dictionnaire de langue s'appuyant sur des citations d'auteurs est né. Ensuite Antoine Furetière (1620-1688), esprit vif et volontiers railleur, est l'auteur du Dictionnaire Universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les Sciences et des Arts (2vol. ; in-folio). Ce n'est plus cette fois-ci le "bon usage" qui est mis en relief mais, comme il est annoncé dans la préface, "une infinité de choses". Les traits d'Histoire, les curiosités de "l'histoire naturelle, de la physique expérimentale et de la pratique des Arts" l'emportent sur la citation des bons auteurs. Furetière préfigure Pierre Larousse et le dictionnaire encyclopédique, ce dernier étant davantage centré sur les idées et les choses décrites par les mots que sur l'usage du mot dans la langue. Enfin, paraît en 1694 la première édition du Dictionnaire de l'Académie française (2 vol., in-4°) se trouve ainsi accomplie l'une des tâches que s'était fixée l'Académie dès 1635 sous l'œil attentif de Richelieu. Ce dernier souhaitait vivement en effet que la France se dotât d'un dictionnaire à l'image de celui de l'Académie della Crusca fondée à Florence, dictionnaire illustrant la langue italienne dans une première édition en 1612 et une seconde en 1623. Certes, la publication du dictionnaire de l'Académie, fort attendue, était bien tardive, mais à tout prendre, ce fut une chance pour la lexicographie, puisque le monopole du dictionnaire de l'Académie n'avait pu être conservé. En effet, publiés à Genève et en Hollande, mais destinés à tous les usagers de la langue française, les dictionnaires de Richelet et de Furetière avaient déjà eu l'heur de plaire au Roi. Une saine concurrence était désormais installée. Le dictionnaire de l'Académie avait pâti, d'une part, de la mort en 1653 de son rédacteur talentueux, Vaugelas, et, d'autre part, d'un changement d'état de langue après ce premier élan, une reprise s'était donc révélée nécessaire à la fin du XVIIe siècle. Sans oublier le conflit qui opposa Furetière, académicien accusé d'avoir plagié le dictionnaire de l'Académie pour alimenter son propre dictionnaire. S'il est vrai que la formule initiale du dictionnaire de Furetière ne devait comprendre que des mots scientifiques, techniques, et que d'une certaine façon, en y introduisant les mots d'usage courant, il "doublait" l'Académie, la teneur même de ces articles était cependant bien différente. La première édition du dictionnaire de l'Académie n'eut pas le succès escompté parce que les mots y étaient regroupés en fonction des racines, et le public n'appréciait guère ce classement qui rassemblait des mots comme dette, débiter, redevance sous l'entrée devoir. Cela étant, c'était une initiative pertinente sur le plan linguistique, trois siècles plus tard tous les linguistes salueraient Josette Rey-Debove pour avoir élaboré le Dictionnaire méthodique (1982) dans une dynamique analogue. Disons-le tout de suite, si le premier dictionnaire de l'Académie n'était pas parfait et si l'ordre alphabétique redevint la règle dès la seconde édition, en 1718, l'Académie a fait d'excellents dictionnaires, et on peut citer entre autres éditions la quatrième (1762), la sixième (1835) et sans aucun doute la neuvième en cours (1992). Le dictionnaire de l'Académie, par le choix d'une description de l'usage contemporain et par le refus des citations au profit de l'élaboration d'exemples, se révélait en fait moderne avant la lettre, presque saussurien, et préfigurait le Dictionnaire français contemporain de 1967 ou le Micro-Robert. Concernant l'aventure exceptionnelle à l'échelle internationale des dictionnaires de l'Académie française, un ouvrage est paru en 1997 aux éditions Champion Slatkine, dirigé par Bernard Quemada et intitulé Les Préfaces du Dictionnaire de l'Académie française (1694-1992). On y redécouvre combien l'Académie, en gardant les mêmes critères – la description de l'usage en synchronie et une nomenclature n'englobant pas les vocabulaires techniques – a su rendre compte de l'évolution de la langue et des débats linguistiques qui ont jalonné l'histoire de la langue et des pratiques lexicographiques. De quoi ne pas céder à la tentation facile d'une critique systématique d'un dictionnaire qui, en définitive, est conçu sans souci de commercialisation, de manière désintéressée, par une assemblée représentative et éclectique élue. Faut-il signaler qu'il est parfois fait appel au vote des académiciens pour se prononcer sur tel ou tel choix lexicographique ou pour revoir la copie qui ne donne pas complète satisfaction ? La procédure ne manque pas de panache et relève d'une symbolique toute démocratique qui inspire le respect. On ne s'étonnera donc pas qu'un très grand projet d'informatisation des différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie française soit en cours ; celui-ci, dirigé par Isabelle Leroy-Turcan (Université de Lyon II) et Terence Russon Wooldridge (Université de Toronto), avec déjà un site informatique, permettra en effet de mieux étudier et de mieux suivre l'évolution de la langue française d'édition en édition, à la plus grande satisfaction des historiens, des linguistes et de tous ceux que l'histoire de notre langue passionne. Avec la parution fondatrice du Richelet, du Furetière et de la première édition du Dictionnaire de l'Académie, pouvait de fait commencer la grande aventure lexicographique et dictionnairique française.
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