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LE(S) DICTIONNAIRE(S) : SINGULIER OU PLURIEL LEXICOGRAPHIE OU DICTIONNAIRIQUE
LE(S) DICTIONNAIRE(S) : SINGULIER OU PLURIEL
Une
double méprise
Les dictionnaires sont généralement associés de la part du consultant
à deux réflexes concomitants et délétères, deux réflexes à combattre.
Le premier réflexe, que nous appellerons le réflexe de l'unicité, consiste
à évoquer "le" dictionnaire comme s'il s'agissait d'un ouvrage unique,
l'alpha et l'oméga.
Ainsi, il est pour le moins fréquent que l'auteur d'un manuel scolaire,
en proposant un exercice qui nécessite explicitement l'usage d'un dictionnaire,
incite les élèves à chercher une définition dans "le" dictionnaire et
non dans "un" dictionnaire, comme si chaque dictionnaire diffusait la
même information, quelle qu'en soit la nature, le format et l'objectif.
C'est le même réflexe que l'on retrouve dans la formule presque incantatoire
: "Vérifions dans le dictionnaire". S'impose alors ici la définition du
mot "dictionnaire" par le dictionnaire de l'Académie (auquel chacun fait
référence dès que l'on recherche un ultime arbitre) pour mettre d'emblée
en relief le champ sémantique très large qu'il recouvre. "Recueil méthodique
de mots rangés le plus souvent dans l'ordre alphabétique", telle est en
effet la définition large offerte dans la neuvième édition du dictionnaire
de l'Académie, édition en cours d'élaboration, et dont le premier volume
est paru en 1992.
Le second réflexe, corollaire du premier, est celui que nous pourrions
appeler le réflexe de la vérité absolue, avec le postulat tacite suivant
: tout ce qui est mentionné dans les dictionnaires est indiscutable, et
le mot qui n'y figure pas n'existe pas. D'où cette remarque habituelle
au point de devenir un cliché : "Ce mot n'est pas français, il n'est pas
dans le dictionnaire". C'est évidemment oublier un peu trop rapidement
que les auteurs de dictionnaires enregistrent des nomenclatures très différentes
en fonction de la taille de l'ouvrage, du nombre de volumes, et des choix
qu'ils se fixent quand au regard sur les mots, descriptif ou normatif
par exemple.
Enfin, il importe de souligner que l'auteur d'un dictionnaire est d'abord
un interprète de la langue, une langue qu'il faut traquer dans sa mobilité,
aussi bien dans ses traces écrites que dans ses manifestations orales
: les sens des mots n'existent pas tout préparés, ils sont le fruit sémantique
de notre activité langagière. N'oublions jamais que les auteurs du grand
siècle ne bénéficiaient pas de dictionnaires monolingues pour définir
les mots, des mots qu'ils employaient pourtant avec efficacité et talent,
le premier dictionnaire français-français ne date en effet que de 1680.
Par définition, les dictionnaires viennent toujours a posteriori, lorsque
les mots et les sens se sont déjà installés dans la langue, l'auteur du
dictionnaire choisit alors ce qui lui semble être la meilleure définition.
Mais son concurrent peut faire mieux et percevoir de nouveaux sens, de
nouvelles acceptions pour le même mot. De fait, la multiplicité des sens
dépend en partie du caractère plus ou moins général des définitions et
de la sensibilité linguistique de l'observateur privilégié qu'est l'auteur
de l'article. C'est tout le paradoxe de nos dictionnaires monolingues,
ils résultent, d'une part, d'une observation généralement très rigoureuse
de la langue mais, d'autre part, aussi de l'usage aléatoire d'une marge
naturelle d'interprétation. Or dès qu'ils sont imprimés, ils prennent
force de loi aux yeux des lecteurs qui les consultent.
LEXICOGRAPHIE
OU DICTIONNAIRIQUE
Un double repère
Deux repères s'imposent pour éviter la double méprise évoquée. En reprenant
les distinctions établies par Bernard Quemada dans la synthèse
magistrale qu'il en offre dans l'article consacré aux dictionnaires dans
l'Encyclopédiae Universalis, rappelons d'abord une première différenciation
: un dictionnaire peut relever soit d'un classement formel, et les mots
sont alors répertoriés en partant de leur forme, dans l'ordre alphabétique
comme dans le Petit Robert, le Petit Larousse, le Trésor
de la langue française, etc., soit d'un classement sémantique, et
les mots sont cette fois-ci répertoriés en fonction de leur signification,
et seulement ensuite, éventuellement regroupés dans l'ordre alphabétique,
comme dans les dictionnaires analogiques, les dictionnaires de synonymes,
etc.
Établissons ensuite avec B. Quemada une seconde distinction pertinente
pour bien percevoir la double perspective dans laquelle se situe tout
bon dictionnaire. Il convient en effet de différencier le lexicographe
du dictionnariste, celui-ci et celui-là se cumulant et alternant le plus
souvent chez la même personne pour faire naître un dictionnaire de qualité.
La dichotomie est particulièrement utile, car elle fait apparaître une
dualité toujours présente dès qu'il s'agit du dictionnaire, en démarquant
opportunément le linguiste, ici le lexicographe, confronté à l'analyse
scientifique des mots, et le praticien, le dictionnariste, ayant en charge
la mise en œuvre d'un produit. Le lexicographe s'assimile en effet au
chercheur seulement préoccupé par la rigueur scientifique de son analyse
et de sa description lexicale, sans se préoccuper des contraintes inhérentes
à l'élaboration et à la diffusion du dictionnaire en tant que produit
vendu.
Et le dictionnariste est celui qui doit tenir compte de toutes les contraintes
relevant de l'élaboration d'un produit défini et vendu sur un marché donné,
il doit donc en garantir l'exécution en fonction des contraintes de prix
et de diffusion, en tenant compte des délais d'élaboration. On peut se
montrer un très bon lexicographe et se révéler un piètre dictionnariste.
Et, par exemple, prévoir un dictionnaire de deux volumes à rédiger sur
trois ans, mais rédiger les articles des premières lettres de manière
si fine, si abondante, qu'on oublie le nombre de pages prévu pour l'ouvrage
et le temps imparti, si bien qu'on est contraint soit de poursuivre sur
cette lancée, et le nombre de volumes est multiplié par deux ou trois,
au grand dam de l'éditeur, soit de réduire l'information en cours de route,
et l'on offre alors au public un ouvrage déséquilibré quant à la densité
d'information entre les premiers et les derniers volumes.
Jean PRUVOST Université de Cergy-Pontoise UFR de Lettres et Sciences
humaines CNRS, INaLF, GEHLF GDR 8410
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