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· Les nuances de Littré

Littré annonçait ainsi son dictionnaire en page de titre :

CONTENANT […] POUR LA SIGNICATION DES MOTS : […] les synonymes principalement considérés dans leurs relations avec les définitions.

Le lexicographe s'explique plus longuement en préface, détaillant comment la synonymie peut articuler les définitions.

VI. Définitions et synonymes.

Un dictionnaire ne peut pas plus contenir un traité de synonymes qu'un traité de grammaire ; c'est aux ouvrages spéciaux qu'il faut renvoyer les développements que comporte un sujet aussi étendu et aussi important. Cependant la synonymie touche à la lexicographie par quelques points qui ne doivent pas être négligés.

La définition des mots est une des grandes difficultés de la lexicographie. Quand on fait un dictionnaire d'une langue morte ou d'une langue étrangère, la traduction sert de définition ; mais, quand il faut expliquer un mot par d'autres mots de la même langue, on est exposé à tomber dans une sorte de cercle vicieux ou explication du même par le même. Ainsi, le Dictionnaire de l'Académie définit fier par hautain, altier ; et il définit hautain par fier, orgueilleux. Évidemment il y a là un défaut duquel il faut se préserver.

Je ne prétends pas, malgré mon attention, m'en être partout préservé ; mais la discussion des synonymes m'a souvent averti de prendre garde aux nuances et de ne pas recevoir comme une véritable explication le renvoi d'un terme à l'autre. C'est entre tant d'objets qu'un dictionnaire doit avoir en vue un de ceux auxquels j'ai donné le plus d'attention.

L'exemple cité plus haut de hautain et altier signale un autre côté par où la synonymie donne un utile secours à la lexicographie, en la forçant à préciser des idées très étroitement unies. Il s'agit des mots qui ne diffèrent que par un suffixe : hautain et altier proviennent d'un même radical, le latin altus ; joignez-y haut dans le sens moral, et vous aurez trois termes identiques radicalement, ayant par conséquent un fond commun de signification, et n'étant distingués que parce que haut est sans suffixe, haut-ain pourvu du suffixe ain, et alt-ier du suffixe ier. Ce sont là des nuances qui sont difficiles à exprimer et qui pourtant influent sur les définitions.

À l'article HAUT, après les significations numérotées, le lecteur peut remarquer un paragraphe précédé d'un tiret quadratin et d’une abréviation, — SYN :

HAUT, HAUTAIN, ALTIER. Ces trois mots ont le même radical, le latin altus, “haut”, et ne diffèrent que par le suffixe. Haut n’a point de suffixe et exprime l’idée simple de l’“élévation morale” ; ce n’est que par abus que ce mot arrive à y mêler quelque idée de blâme. Il n’en est pas de même de hautain et d’altier, qui sont toujours un excès, au moins dans le langage moderne. Hautain désigne un “excès de hauteur d’âme qui se manifeste par les manières, par le langage” ; et c’est par là surtout qu’est blessant l’homme hautain. Au contraire, altier désigne un “excès de hauteur d’âme qui se manifeste surtout dans les sentiments, les passions, les volontés”.

Les distinctions typographiques ne sont pas dans l'original. Cette édition souhaite mettre en valeur la rigueur du propos lexicographique de Littré, en distinguant notamment :

  • les “définitions” (équivalent explicatif)
  • les exemples (mot en contexte)
  • les marques (terme de métalangage)
  • les corrélats (lien à cliquer)

Afin d'augmenter le plaisir du lecteur, les nuances ont été rapprochées par thèmes, afin de composer comme un dictionnaire à lire. Il en résulte un ouvrage comparable aux synonymistes (Girard, Beauzée, Roubaud, Guizot…), qui traite d'ailleurs en partie les mêmes significations.

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Édition : Frédéric Glorieux (École nationale des chartes)